Élections locales au Maroc : le PJD remporte les grandes villes. 3 conclusions à en tirer
LE PLUS. Les résultats des élections locales et régionales marocaines dévoilent une nette progression du Parti de la justice et du développement (PJD) d'Abdelilah Benkirane. Le parti islamique n'arrive que troisième en nombre de sièges obtenus, mais cette remontée pourrait avoir un impact politique durable. C'est l'avis d'Abdelmalek Alaoui, analyste politique.
Quatre ans après le printemps arabe et la "transition douce" qu’a connue le Maroc, les élections locales et régionales qui viennent de se dérouler rebattent les cartes politiques du royaume à un an des législatives.
Vers une nouvelle manière de concevoir la politique
Les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) – qui dirigent la coalition gouvernementale depuis plus de trois ans – peuvent en effet se prévaloir d’une victoire nette en remportant plusieurs grandes villes telles Casablanca, Fès, Tanger ou Agadir.
Bien que troisième en nombre de sièges obtenus, la stratégie de ciblage des candidatures poursuivie par le PJD lui a permis d’obtenir la majorité absolue dans certaines grandes cités, et de remporter les élections régionales.
Dans un pays où la fragmentation des votes est la règle depuis l’indépendance, cette tendance est suffisamment inédite pour être soulignée.
Toutefois, les significations profondes de ce scrutin dépassent largement l’arithmétique des votes ou la progression du PJD. Elles indiquent qu’un changement paradigmatique de la manière de concevoir la politique est à l’œuvre dans le pays.
Un corps électoral qui a gagné en maturité
Premier message fort de ce scrutin : le corps électoral marocain a gagné considérablement en maturité lors des cinq dernières années.
Au vote pour un parti ou un homme s’est substitué un vote-sanction à l’encontre de tous ceux perçus comme immobilistes ou mauvais gestionnaires, ce qui signifie que les Marocains se sont peu à peu affranchis des réflexes tribalistes. Les défaites spectaculaires de barons locaux, que beaucoup pensaient inamovibles, illustrent avec force cette tendance.
Or cette donnée semble avoir surtout été intégrée par le PJD pendant la campagne. Le parti islamiste n’a pas eu besoin de développer un programme fort, assénant à la place un discours très agressif contre ses adversaires et affirmant sa volonté de mettre en place une gouvernance irréprochable des villes et des régions.
Les votants ont également accordé une prime au PJD pour sa présence constante et organisée sur les réseaux sociaux bien avant que la campagne ne se mette en place.
Si nombre de partis de l’opposition ont également essayé de mettre en place une stratégie numérique et une présence accrue sur les réseaux, l’effet d’adhérence de la part de l’opinion a été très limité. Beaucoup d’internautes – et de votants – n’y ont vu qu’une intrusion conjoncturelle et opportuniste sur la toile.
De manière globale, le signal est clair : l’électorat souhaite avoir un dialogue permanent avec les partis et pas seulement à la faveur des campagnes électorales.
Des chefs de partis en première ligne
Le second message est plus paradoxal : le Maroc est toujours tiraillé entre son modèle centralisateur et sa volonté de déconcentration. Ainsi, bien que cette élection portait sur des scrutins locaux et régionaux, le fait qu’elle s’inscrive dans le cadre de la régionalisation avancée – qui donne des prérogatives étendues aux territoires depuis la réforme constitutionnelle de 2011 – en a fait un scrutin national. Dans ce cadre, les chefs de partis n’ont eu d’autre choix que de se jeter à corps perdu dans la bataille électorale, reléguant la plupart du temps les candidats locaux à des rôles de figuration.
Pour le PJD, cette stratégie a été payante, le parti islamiste pouvant compter sur la combativité du chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane. Ce dernier s’est transformé en super-VRP, sillonnant le pays au moyen notamment d’un avion privé loué à grands frais par le PJD.
Pour les autres partis, le bilan est plus mitigé, aucun leader de parti politique s’étant présenté sur un territoire n’ayant réussi à l’emporter.
Défaits sur le plan local, la position nationale de ces chefs de partis est donc naturellement fragilisée. Tous les regards se tournent notamment vers Hamid Chabat, patron de l’Istiqlal, qui avait – imprudemment – promis de démissionner de son poste de secrétaire général s’il venait à perdre les élections.
Autre sujet brûlant : le gouvernement va-t-il être remanié au lendemain de ces élections ? Pas moins de douze ministres en exercice se sont présentés à ces élections. La logique voudrait que ceux élus présentent leur démission pour se consacrer à leur mandat. Ceci instituerait une règle non-écrite salutaire pour le processus de démocratisation. Quant à ceux qui ont été battus, leur sort est à débattre.
Un champ partisan en voie de clarification
Troisième tendance lourde : depuis deux ans, le champ partisan marocain a connu une évolution que de nombreux observateurs qualifient de contre-intuitive. Sur le plan idéologique, il aurait été naturel que deux partis comme le PJD et l’Istiqlal poursuivent leur alliance mise en place au lendemain des élections législatives de novembre 2011, les deux partis partageant une base conservatrice commune.
Or, la sortie de l’Istiqlal de la majorité gouvernementale au printemps 2013 – à l’initiative, encore une fois, du bouillonnant Hamid Chabat – a bouleversé la donne, faisant entrer au gouvernement un ancien adversaire farouche du PJD, le Rassemblement national des indépendant (RNI). Ce dernier, arrivé quatrième à ces élections locales, a d’ores et déjà affirmé qu’il respecterait le pacte de la majorité et appuierait donc le PJD dans les régions et communes où il est en ballotage favorable.
De l’autre côté, l’opposition composée du Parti authenticité et modernité (PAM), de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), et de l’Istiqlal a affirmé son refus absolu de s’allier avec le PJD, dressant ainsi une ligne claire et créant de facto un front anti-islamiste.
Cette logique de blocs est de nature à favoriser une bipolarisation, et permet aux électeurs d’aller aux législatives avec un champ partisan clarifié, même s’il peut paraître incohérent sur le plan des idées.
Que va faire le PJD de sa victoire sur les territoires ?
Une interrogation subsiste au lendemain de ce succès électoral du PJD dans les grandes villes. Comment le parti islamiste compte-t-il gérer les grands pôles touristiques sur le plan des questions "qui fâchent" tels que le rapport à l’alcool, à la nudité sur les plages, ou les activités festives ?
Certains professionnels se sont d’ores et déjà inquiétés de voir des villes telles Agadir basculer entre les mains du PJD. Dans un contexte où l’on a pu constater au Maroc une résurgence des conservatismes depuis le début de l’année, le PJD va devoir rapidement donner des gages qu’il ne sera pas "toxique" pour le tourisme, un secteur stratégique pour le pays.
Il faudra pour cela au PJD d’éviter d’être grisé par ses succès au plan local, et se remémorer qu’elles sont le plus souvent l’expression d’un vote-sanction à l’endroit des sortants, et non un blanc-seing pour une politique islamiste.
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